Mase, le 21 novembre 2021
Cher François Burland, Chère Audrey Cavélius, Chère Myriam Schüssler, Cher Christophe Gonet, Les lettres ne sont ni des journaux intimes, ni des carnets de voyage. Les lettres sont des voyages intimes à destination de l’autre. L’autre, celui que l’on questionne, auquel on se confie ou avec lequel on se confronte. L’autre, celui qui toujours nourrit, toujours transforme. L’autre qui interdit la pensée unique, le jugement dernier, l’aigreur de l’autosatisfaction. En 1886, Louis Magnin de Charrat, sa femme, son père et leurs 7 enfants quittent le Valais pour toujours. D’Amérique, où poussera peu à peu leur arbre généalogique en anglais, Louis, Rose ou encore Emile écrivent des lettres qui traversent les mers. « Il se passe bien peu de jours sans que mes souvenirs se transportent près de vous » écrira Louis à son ami Casimir resté au pays. 10 ans de précieuse correspondance conservée aux Archives d’Etat du Canton du Valais et que son directeur Alain Dubois a proposée à « Lettres de soie ». Dix ans qui, malgré un courrier souvent très précis, laissent deviner le fantasme partagé entre ceux de la terre mère et ceux que la mer a déterrés. Aujourd’hui que le monde est en marche, que la migration forcée ou choisie est une composante de nos sociétés, peut-être pourrions-nous travailler ensemble ? Cette sélection de lettres pourrait être le port de départ. Le lieu duquel votre talent et votre imagination pourraient prendre le large. Votre amour pour les projets collectifs, pour la mise en relation de populations que tout sépare à priori, votre désir de rencontrer l’autre, de lui permettre de laisser traces, nous semblent très proches de notre propre philosophie. Notre Festival « Lettres de soie » a un seul mantra : « Il faut être minimum deux pour écrire une lettre ». De nombreux Masattes seraient enthousiasmés à l’idée de vous recevoir au village. Certains ont déjà répondu positivement pour vous loger, vous nourrir ou vous initier à la botanique. D’autres sont prêts à laisser des murets, des façades ou des bords de caves pour accueillir ce que votre présence parmi nous pourrait faire naître. L’intégralité de la correspondance de la famille Magnin sera à disposition des visiteurs dans l’un de nos raccards. Nous avons hâte de recevoir une réponse et d’ici-là j’emprunte la formule de Louis Magnin à sa nièce Ernestine Tornay en 1896 : C’est le vœu de mon cœur Votre affectionné Festival de la Correspondance Pour Lettres de Soie, Manuella Maury |
Lausanne, le 2 mai 2022
Chères Lettres de Soie, Une chose frappe quand on arrive au village : c’est son ouverture sur l’autre, sur l’ailleurs. Et en même temps, on entre avec fracas dans son intimité. Le proche et le lointain nous accueillent avec la même férocité et notre cœur, dès ses premiers pas, se sent à la maison. Nous, les étrangers du Canton de Vaud, de France voisine, d’Erythrée, du Congo, de Côte d’Ivoire, de Guinée Bissau, d’Afghanistan, d’Iran et d’ailleurs, sommes venus déposer nos mots et nos bagages à Mase pendant deux semaines ce printemps. Comme nos vraies familles étaient loin, avec Samiya, Ariam, Luciana, Grace, Hameeda, Batool, Ancel, Paula, Mahdi, Aman, Pedram, Myriam, Christophe et François, on a décidé d’en former une nouvelle. Et Manuella, Katja, Flavia, Raphy, Prosper, Ghislaine, Marcel, René, Brigitte, Annette, Maryjo, Marylaure, Francine, Léa, Paula, Nora et Chloé se sont prêtés au jeu et sont devenus, l’espace d’un instant et peut-être pour toujours, nos mères, nos pères, nos frères, nos sœurs ou nos amies. Comme nous étions sans famille et que nous souhaitions leur écrire, tous ont accepté que l’on dépose en eux nos mots. Il y est question d’identités et de territoires. Peut-être de mirages. Toujours est-il que le voyageur en pays masatte n’aura besoin comme terre d’accueil que de son cœur. Audrey Cavélius |